Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, L’univers est égal à son vaste appétit. Et nous allons, suivant le rythme de la lame, Berçant notre infini sur le fini des mers : Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ; Pour n’être pas changés en bêtes, Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! La Curiosité nous tourmente et nous roule, Comme un Ange cruel qui fouette des soleils. Pour trouver le repos court toujours comme un fou ! Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers ! Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons, Dites, qu’avez-vous vu ? « Nous avons vu des astres Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ; Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres, Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici. La gloire du soleil sur la mer violette, La gloire des cités dans le soleil couchant, Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant. Et toujours le désir nous rendait soucieux ! Nous avons salué des idoles à trompe ; Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ; Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché, l’Humanité bavarde, ivre de son génie, Et, folle maintenant comme elle était jadis, Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie : « Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! » Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! Le monde, monotone et petit, aujourd’hui, Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image : Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ! Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ; Pars, s’il le faut. Comme le Juif errant et comme les apôtres, À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau, Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres « Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! » Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !